Conseil & métiers du chiffre

Article 2 de l’ordonnance de 1945 : un cadre fondateur devenu un dilemme stratégique

11.09.2025
3 minutes

Depuis 80 ans, l’ordonnance du 19 septembre 1945 structure la mission des experts-comptables. Son article 2 est sans ambiguïté : le cœur du métier est la comptabilité, et le conseil ne peut être qu’accessoire. Or, en 2025, cette règle se heurte à une réalité de plus en plus difficile à ignorer : les missions cœur sont banalisées, sous pression tarifaire, et les clients attendent désormais un accompagnement stratégique.

Que dit vraiment l’article 2 ?

L’article 2 de l’ordonnance n° 45-2138 dispose que l’expert-comptable a pour mission principale :

  • l’établissement,
  • la tenue,
  • la surveillance,
  • le redressement et la consolidation des comptabilités.

Le texte autorise aussi la possibilité de donner des conseils, mais uniquement comme activité accessoire aux missions comptables. Autrement dit, en droit, le conseil n’est pas une activité autonome : il doit rester lié et secondaire par rapport au cœur du métier.

Pourquoi ce cadre devient-il intenable en 2025 ?

Trois facteurs principaux rendent ce cadre difficile à maintenir :

  1. Érosion des missions cœur

La tenue, la révision et la fiscalité sont désormais massivement automatisées. Elles sont banalisées et soumises à une concurrence tarifaire intense.

  1. Évolution des attentes clients

Plus de la moitié des entreprises (53 %) restent fidèles à leur cabinet depuis plus de dix ans (Tool-Advisor, 2025). Mais cette fidélité ne repose plus seulement sur la production des comptes : les dirigeants attendent un accompagnement sur la croissance, le financement, la transmission.

  1. Concurrence et financiarisation

La financiarisation du métier (article 1 de cette série) accentue la pression. Les fonds misent sur les cabinets capables de digitaliser et d’élargir leur offre. Un cabinet qui s’en tient strictement au cadre de 1945 devient vulnérable.

Jurisprudence 2025 : la ligne rouge du « conseil »

En 2025, plusieurs décisions rappellent que cette frontière n’est pas théorique, mais bien réelle :

  • Cour d’appel de Lyon – 13 mai 2025 (RG n° 23/04589) : la cour a confirmé la recevabilité d’une action engagée par l’Ordre des experts-comptables, estimant qu’un cabinet franchissait la limite entre conseil autorisé et exercice illégal de la profession. L’arrêt souligne la vigilance accrue autour du périmètre de l’article 2.
  • Tribunal de commerce de Rennes – 31 juillet 2025 (RG n° 2025R00039) : le tribunal a rappelé que la charge de la preuve en matière d’exercice illégal est lourde : qualifier une mission de “conseil” ne suffit pas si l’on ne démontre pas l’exécution effective de travaux comptables réservés. Une mise en garde claire pour les cabinets tentés d’aller trop loin dans la diversification.

Ces affaires montrent que l’Ordre et les juridictions commerciales suivent de près les dérives possibles : le conseil est nécessaire, mais sortir du cadre peut exposer à des sanctions.

Repenser l’esprit de 1945

Plutôt que d’opposer dogme et réalité, certains cabinets choisissent de relire l’esprit de 1945 à la lumière des enjeux actuels :

  • Le cœur du métier reste la production d’une information comptable fiable.
  • Le conseil devient la mise en valeur de cette information : transformer les chiffres en leviers de pilotage stratégique.

Ainsi, le conseil n’est plus vu comme une dérive, mais comme une continuité logique du métier — à condition de rester arrimé à la compétence comptable.

Les questions que tout cabinet devrait se poser

  • Comment rester fidèle au cadre légal sans s’enfermer dans des missions banalisées ?
  • Comment positionner le conseil comme un prolongement de l’expertise, et non comme une activité concurrente ?
  • Quelles limites juridiques dois-je garder en tête pour éviter les contentieux avec l’Ordre ?
  • Quelle valeur mon cabinet crée-t-il réellement pour mes clients dirigeants ?

En résumé

  • L’article 2 de 1945 impose que le conseil reste accessoire au métier d’expert-comptable.
  • En 2025, ce cadre est difficilement tenable : missions cœur banalisées, attentes accrues des clients, financiarisation du métier.
  • Les jurisprudences récentes (Lyon, Rennes, 2025) rappellent que dépasser ce cadre peut entraîner des sanctions.
  • La voie de l’avenir passe par une interprétation dynamique : consolider le cœur du métier et assumer le conseil comme une mise en valeur des données comptables.

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FAQ

01
Que dit l’article 2 de l’ordonnance de 1945 ?

Il définit le cœur de mission de l’expert-comptable : la comptabilité. Le conseil est possible, mais uniquement en tant qu’activité accessoire.

02
Pourquoi ce cadre est-il difficile à appliquer aujourd’hui ?

Parce que les missions cœur sont automatisées et banalisées. Les cabinets doivent se diversifier pour rester compétitifs, ce qui entre en tension avec l’esprit de 1945.

03
Quels risques encourt un cabinet qui sort du cadre ?

Les décisions de 2025 (Cour d’appel de Lyon, Tribunal de commerce de Rennes) montrent que l’Ordre et les juridictions peuvent intervenir si un cabinet va trop loin dans le conseil au détriment de la mission comptable.

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